mardi 27 avril 2010
L'Irlande et les femmes
Joanne Hayes, à droite
Un groupe d'hommes, certains portant des perruques d'un autre âge, d'autres des blouses blanches doctorales, et parfois même un uniforme, se sont tenus pendant six mois, raides dans leurs certitudes, devant une jeune femme de 20 ans - célibataire.
Pendant six mois, ils lui ont demandé comment, où et avec qui elle avait conçu son bébé - mort à la naissance. Le père de l'enfant n'a jamais été interrogé - c'était un homme marié.
Pendant six mois, ces hommes ont décortiqué, en public, non seulement la vie de cette jeune femme mais aussi son corps et sa tête.
L'un a décrit son vagin, l'autre a expliqué qu'elle avait pu avoir conçu des jumeaux, avec deux hommes différents, dans un délai de 24 heures.
Quand la jeune femme s'est évanouie devant ses juges, on lui a juste permis de prendre des sédatifs pour pouvoir répondre à encore plus de questions - des questions plus précises. Elle y a répondu, avec la tête qui tombait règulièrement sur le micro du tribunal.
C'était en Irlande. L'Irlande de 1985. Le pape Jean Paul II avait fait sa première visite officielle dans le très catholique pays en 1979. Le pays tout entier s'en réjouissait encore. La femme s'appelait Joanne Hayes.
On venait de trouver le corps de deux nouveaux-nés dans le Kerry. Comme cela arrivait, de temps en temps, dans l'Irlande d'alors : Grossesses cachées, mères célibataires, accouchements solitaires.
On a soupçonné Joanne Hayes d'être la mère des deux bébés - même si les tests sanguins prouvaient qu'elle ne pouvait être la mère que d'un seul.
Joanne Hayes est devenue un symbole pour les femmes irlandaises. Le pays était sous le choc. Il venait juste de sortir de décennies sombres, marquées par la poigne de fer de l'Eglise catholique.
Joanne Hayes a servi de détonateur. Et le pays a commencé à se réveiller.
Avec l'accession de l'Irlande à la communauté européenne en 1973, les femmes mariées irlandaises ont enfin pu envisager de travailler - ce qui leur était interdit jusque-là. En 1975, c'est chose faite - même si elles ne sont que 10 p.cent à le faire.
Fin des années 1980, la contraception (on parle de préservatifs, pas encore de pilule) était autorisée pour toutes - et non plus seulement pour les femmes mariées, sous certaines conditions.
Après l'affaire Joanne Hayes (1985) les enfants dits illégitimes n'étaient plus catalogués légalement comme "bâtards" et, dans la foulée, l'homosexualité n'était plus un crime.
Enfin, en 1992, l'avortement est envisagé en cas de risque pour la vie de la mère - mais seulement autorisé par la loi à être pratiqué à l'étranger.
En 1996, le divorce est légalement admis - mais sous strictes conditions.
L'ordalie de Joanne aura servi à sortir un pays de sa torpeur - doucement. L'Irlande a enfin commencé à ouvrir les yeux.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Il est long, le chemin vers la lumière. Merci, Yolaine, de nous le rappeler. Joanne Hayes vit-elle enfin une vie meilleure?
RépondreSupprimerBonjour Tony
RépondreSupprimerJoanne hayes a continué sa vie - comme chacun de nous. Elle a eu une fille qui vit actuellement au Royaume-Uni. Joanne Hayes a toujours refusé les interviews et a récemment rejeté le projet de film qu'un réalisateur voulait faire sur sa vie.
Elle ne veut pas voir tout ce qu'elle a vécu à l'époque revenir sous les feux de l'actualité - par respect pour sa famille et ses amis, dit-elle.
J'ai appris que la tombe du 2e bébé (qui n'était pas le sien et dont l'identité n'a jamais été découverte) avait été récemment vandalisée et partiellement détruite...